On disait jadis que les pilotes de course étaient les derniers gladiateurs. La comparaison n’était pas tirée par les cheveux: jusqu’aux années 1980, il en mourait un par mois et j’exagère à peine.
Heureusement, cette époque est révolue grâce à des pionniers de la sécurité comme Jackie Stewart et Niki Lauda. Doit-on pour autant aller à l’autre extrême et réduire le facteur de risque à néant?
Parce que si on se rend là, ce ne sera plus de la course. Une F1 à risque zéro, c’est une F1 complètement aseptisée; l’équivalent d’un match de hockey sans mises en échec. Est-ce vraiment ce que veulent ses dirigeants? Les patrons d’écurie? Les pilotes?
Tout ce beau monde semblait d’accord avec la décision de la direction de course et c’est ce qui est le plus consternant: les courses de F1 sous la pluie incarnent la quintessence du sport automobile, celles où le talent, plus que la monture, fait la différence.
Évidemment, on ne parle pas ici de forcer les pilotes à courir au beau milieu d’un typhon ou d’une tempête tropicale; mais à Spa, ce dimanche, nous étions loin de ça. Ce n’était pas un crachin, certes, mais pas le déluge non plus.
On a pourtant choisi d’annuler la course. Et d’accorder la moitié des points en fonction de la grille de départ, en guise de prix de consolation. C’est ce que stipule le règlement: s’il y a eu au moins deux tours de complétés, on donne la moitié des points. Même si les deux tours ont été disputés derrière la voiture de sécurité…
Des relents de 2005
La dernière fois où j’ai vu la F1 se couvrir de ridicule à ce point, c’était en 2005, lors de l’infâme Grand Prix des États-Unis avec sa grille de départ à six voitures. Au nom de la sécurité, encore une fois. Il y a cependant une différence majeure entre les deux événements : à Indianapolis, la course aurait dû être annulée. Un Grand Prix à six voitures, c’était un simulacre de course. À Spa, le départ aurait dû être donné, quitte à arrêter la course au bout de 10, 20 ou 30 tours.
Frileuse, la direction de course, après une interminable hésitation, a finalement décidé que deux tours derrière la voiture de sécurité équivalaient à une course et ils ont tout arrêté. Pire encore: les pilotes étaient majoritairement d’accord! On est loin, très loin, des gladiateurs…
Lorsqu’il veut se moquer des milléniaux, qu’il trouve bien tendres, un célèbre chroniqueur d’un quotidien montréalais les interpelle en les appelant « les petits lapins ». C’est ce que nous avons vu à Spa : une bande de gamins qui ne veulent pas prendre plus de risques que lorsqu’ils pilotent sur leur simulateur.
Niki Lauda a beau avoir été un apôtre de la sécurité, il était le premier à dire qu’on ne se sent jamais aussi vivant que lorsqu’on flirte avec la mort. Les petits lapins, eux, étaient contents de rentrer bien sagement à la maison.
Autres temps, autres mœurs.
Occasion ratée
Les Grands Prix disputés dans des conditions parfois dantesques ont écrits quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la F1: Gilles Villeneuve, Ayrton Senna, Michael Schumacher ont tous forgé une partie de leur légende grâce à leur maestria sous la pluie.
Parmi leurs contemporains, Verstappen et Hamilton, pour ne nommer qu’eux, ont aussi montré toute leur grandeur sur une piste détrempée. Qui sait si l’annulation de cette course n’a pas privé George Russell d’un exploit comme celui de Senna à Monaco, en 1984?
Au lieu de ça, on a niaisé pendant des heures pour finalement tout arrêter. Un mot, six lettres pour résumer tout ça : fiasco. Un site spécialisé parle de « parodie » et c’est bien de ça qu’il s’agit. Une parodie qui n’avait malheureusement rien de drôle.
Mais les petits lapins n’ont pas eu bobo.