MONTRÉAL — Depuis l’implantation du programme de récompense «Inspire» de la Société des alcools du Québec (SAQ), les utilisateurs ont reçu gratuitement l’équivalent de 128 millions $ d’alcool. En 2018 seulement, les Québécois ont bu sur le bras de la Société d’État pour 41 millions $ de vins et de spiritueux. Un constat inquiétant, juge un expert des enjeux de santé publique.
La Presse canadienne a obtenu des données sur le nombre d’abonnés et sur la valeur des points distribués par la SAQ depuis 2015 grâce à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Selon les chiffres transmis par la société d’État, au 31 décembre 2018, on comptait 2 384 423 détenteurs d’une carte Inspire. Cela représente plus d'un adulte sur trois au Québec. Ces consommateurs ont cumulé plus de 128 milliards de points depuis l’implantation du programme en 2015.
Si on n’est pas familier avec le programme, chaque tranche de 1000 points représente un dollar à dépenser en produits de la SAQ. Les 128 milliards de points ont donc une valeur de 128 millions de dollars.
Sur cette somme, les abonnés ont consommé plus 101 millions $ en produits alcoolisés depuis 2015. Il restait donc en circulation plus de 27 millions de «dollars SAQ» dans le portefeuille des Québécois en date du 31 décembre.
Ces chiffres inquiètent le Dr Réal Morin de l’Institut national de santé publique du Québec qui rappelle que la consommation d’alcool est associée à plus de 200 problèmes sociaux et de santé.
«C'est clair, qu'au regard des données scientifiques obtenues à travers le monde et sur lesquelles nous nous appuyons à l'INSPQ, ce n'est pas une pratique qui est compatible avec des intérêts de santé publique», observe-t-il.
Selon lui, le programme Inspire n’est «pas cohérent avec les efforts de réduction des problèmes associés à la consommation d'alcool». Il ajoute que pour les organismes de santé publique, «en laissant une telle pratique se faire, c'est considérer que l'alcool est un produit ordinaire, ce qu'il n'est pas, mais clairement pas».
Le Dr Morin ajoute que l’Organisation mondiale de la santé considère que la publicité liée à l'alcool doit être diminuée, voire même abolie, dans ses pays membres.
Un poids de 14,6 milliards $ sur la santé
Dans un rapport déposé en février, intitulé «Les troubles liés aux substances psychoactives — Prévalence des cas identifiés à partir des banques de données administratives, 2001-2016», le Bureau d’information et d’études en santé des populations (BIESP) révèle que des centaines de milliers de Québécois souffrent de troubles de santé directement liés à leur consommation d'alcool.
Plus précisément, au cours des 15 dernières années, ce sont 198 465 Québécois qui ont été diagnostiqués avec un trouble lié à la consommation abusive d'alcool ou à une dépendance.
Durant la même période, 128 875 Québécois ont été diagnostiqués avec un trouble induit par l'alcool, soit le développement de maladies physiques ou mentales dû à leur consommation.
On y apprend aussi qu'en date de 2016, «la consommation d’alcool et de drogues était classée au huitième rang des facteurs de risque de décès et d’invalidité à l’échelle mondiale».
Une autre information citée par le BIESP, qui provient du Groupe de travail scientifique sur les coûts et les méfaits de l’usage de substances au Canada, la facture des coûts de santé liés à l'alcool était estimée à 14,6 milliards $ au Canada en 2014, dont 4,2 milliards $ en soins directs.
À titre comparatif, le poids de la consommation de drogue sur le système de santé au Canada était estimé à 11,8 milliards $, dont 990 millions $ en soins directs.
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Valeur, en dollars, des points versés par le programme SAQ Inspire:
- 2015: 7 083 603,67 $
- 2016: 28 726 227,60 $
- 2017: 46 225 983,13 $
- 2018: 46 009 059,44 $
- Total: 128 044 873,84 $